
Le 8 août 2025, j’ai co-animé avec Corinne Laurier un atelier lors du congrès international d’analyse transactionnelle à Montpellier, un événement qui a réuni 870 participants venus de 46 pays. Plus de 120 ateliers ont rythmé ces trois jours ayant pour thème « «À la découverte de l’héritage, la légitimité et de l’identité : L’analyse transactionnelle dans un monde en mutation » ». Notre atelier avait pour titre « Entre identité, légitimité et héritage : la place du repreneur d’entreprise familial vue par l’analyse transactionnelle » et nous vous proposons ici les enseignements de cet atelier.
En effet, les entreprises familiales représentent près de 70 % du PIB mondial et constituent environ deux tiers des entreprises existantes. Elles sont un moteur économique incontestable et la question de la transmission de ces entreprises est un vrai enjeu pour nos sociétés aujourd’hui.
Or, si la fiscalité et le droit sont généralement bien préparés au moment d’une transmission, pourtant, comme l’ont confirmé les échanges avec nos participants, la dimension humaine de cette transmission reste le parent pauvre de l’accompagnement, malgré son caractère déterminant pour la réussite.
Comment, alors, permettre au repreneur de trouver sa juste place sans trahir l’héritage reçu lors de la transmission, tout en affirmant sa propre identité de leader ? C’est cette question qui a guidé notre atelier.
Aussi, dans un premier temps, nous définirons, , ces 3 termes héritage – légitimité – identité, puis nous aborderons les paradoxes auxquels fait face le repreneur et enfin comment l’analyse transactionnelle peut accompagner un projet de transmission d’entreprise.

Notre approche de la légitimité, de l’identité et de l’héritage
Notre approche s’appuie sur le modèle des trois cercles de Tagiuri et Davis, qui met en évidence l’imbrication complexe entre propriété/patrimoine, entreprise et famille.
À travers le prisme de l’analyse transactionnelle, nous avons exploré comment ces systèmes influencent la position du repreneur notamment à travers la légitimité, l’identité et l’héritage.
Voici notre conception de ces items.
La légitimité : au nom de quoi j’agis ?
La première question qui se pose pour tout repreneur est celle de la légitimité. Nous avons exploré avec les participants ses trois dimensions de la légitimité :
- la dimension objective : diplômes, compétences, reconnaissance juridique du rôle ;
- la dimension sociale : reconnaissance par les salariés, clients, partenaires ;
- la dimension liée au ressenti : celle que le repreneur s’accorde à lui-même.
Les retours des participants ont été éclairants. Pour eux, le défi principal tient à la reconnaissance sociale car être accepté par les salariés déjà présents dans l’entreprise. Cette reconnaissance ne se décrète pas, elle se construit dans le temps, à travers la confiance gagnée sur le terrain.
En effet, comme l’a souligné un participant : « Les salariés me voient encore comme ‘le petit Pierre' ». Cette difficulté à sortir de l’image héritée du passé familial illustre parfaitement le concept d’imago en analyse transactionnelle.
Un autre défi soulevé a été celui de “mettre sa patte sans trahir le cédant”, autrement dit trouver le délicat équilibre entre continuité et innovation, entre fidélité et affirmation personnelle.
Beaucoup ont ainsi évoqué le besoin d’une “permission de prendre sa place”.
L’identité : qui suis-je dans ce rôle ?
Le deuxième pilier est celui de l’identité, qui se construit sous trois facettes :
- l’identité personnelle : le moi profond, ma personnalité ; “Quelle partie de moi je mets dans l’entreprise ?”. Cette question révèle la difficulté à intégrer son identité personnelle dans un cadre préexistant, souvent fortement marqué par la personnalité du fondateur ou du cédant.
- l’identité sociale : la façon dont je veux être perçu ; “Quelle image je veux donner de moi en tant que leader ?”
- l’identité professionnelle : la manière dont j’investis mes rôles. “Comment être congruent avec la mission que je souhaite incarner ?”
Les participants ont partagé des réflexions d’une grande richesse :
Là encore, la relation avec le cédant est revenue comme un point central : comment partager une vision commune tout en affirmant sa propre identité ? Comment faire en sorte que le repreneur soit véritablement reconnu ?
Un participant a même souligné que le “nom devient une marque”, et que porter ce nom engage l’identité bien au-delà du rôle professionnel. L’identité du repreneur s’entremêle ainsi à l’identité de la famille et de l’entreprise, ce qui complexifie encore la prise de fonction.
Il convient alors au repreneur, qui a un nom, de se faire un prénom.
L’héritage : un système à plusieurs voix
Le troisième pilier est celui de l’héritage, entendu au sens large :
- économique : le patrimoine transmis,
- familial : les croyances, prescriptions, slogans,
- organisationnel : la culture de l’entreprise et sa place dans son environnement.
Les retours des participants ont montré combien l’entreprise familiale est vécue comme une extension de la famille. Elle véhicule des croyances implicites : “ici on a toujours fait comme ça”, “chez nous, on ne prend pas de risques”, “la parole de l’aîné prime”.
Mais l’héritage, c’est aussi une force. Il représente une histoire collective, une loyauté partagée. Le défi alors pour le repreneur est de transformer ce socle en tremplin, sans se sentir enfermé par lui.

Les paradoxes du repreneur
Au fil de l’atelier et de nos échanges, un constat s’est imposé : le repreneur avance dans un champ de paradoxes permanents.
- Fidélité vs innovation : comment honorer le passé sans en devenir prisonnier ? Comment introduire de nouvelles pratiques sans renier ce qui a fait la force de l’entreprise ? Les participants ont identifié cette tension comme centrale : respecter l’héritage tout en permettant l’évolution nécessaire de l’entreprise.
- Présence du cédant vs autonomie du repreneur : comment dire au revoir au cédant – parfois encore très présent – tout en reconnaissant son rôle fondateur ? Certains participants ont évoqué la nécessité d’un rituel, d’un moment symbolique pour marquer ce passage.
- Légitimité sociale vs ressentie : même si le repreneur est officiellement en poste, il peut rester perçu comme “le petit Pierre”, fils ou fille du fondateur, et non comme un dirigeant à part entière.
Ces paradoxes ne se “résolvent” pas une fois pour toutes. Ils se vivent, se négocient. Le rôle du repreneur n’est pas de les éliminer, mais d’apprendre à avancer avec eux, en conscience.
Les solutions opérationnelles pour un accompagnement réussi

Les retours des participants ont fait émerger des pistes concrètes pour surmonter ces défis en faisant appel à l’analyse transactionnelle.
Voici quelques unes des clés proposées pour accompagner ces transitions.
- Un travail sur la culture organisationnelle à travers le diagnostic de culture pour comprendre les règles implicites qui structurent l’entreprise (au sens d’Éric Berne, “les influences matérielles, intellectuelles et sociales qui régulent le groupe”).
- Mettre en place des permissions pour aider le repreneur à s’autoriser à agir autrement, et permettre au cédant d’oser “lâcher prise” sur certaines dimensions. Cette « permission » au sens de l’analyse transactionnelle libère le potentiel d’innovation du repreneur.
- L’accompagnement croisé : travailler non seulement avec le repreneur, mais aussi avec le cédant, et parfois avec le comité de direction, afin que le processus de transmission soit collectif. En effet, une transmission réussie implique tous les acteurs clés, pas seulement le repreneur. Cette approche systémique permet de traiter les résistances à tous les niveaux.
- Les rituels de passage pour gérer le deuil lié à la passation : introniser la nouvelle personne, dire au revoir au passé, créer un moment symbolique pour permettre l’innovation.
Ces outils ne suppriment pas les paradoxes, mais ils aident à les traverser en conscience, avec plus de fluidité et moins de conflits.
Recommandations pour les dirigeants et DRH
Pour les cédants :
- Anticipez le travail de deuil : la transmission commence par votre capacité à lâcher prise
- Autorisez explicitement l’innovation : donnez la permission de faire différemment
- Accompagnez la montée en compétence sans infantiliser
- Clarifiez votre rôle post-transmission
Pour les repreneurs :
- Investissez dans la connaissance approfondie de l’entreprise et de sa culture
- Construisez votre légitimité sur plusieurs piliers : technique, relationnelle et personnelle
- Prenez le temps de définir votre vision tout en respectant l’héritage
- N’hésitez pas à vous faire accompagner par un professionnel
Pour les DRH et conseils :
- Intégrez la dimension psychologique dans un processus de transmission
- Proposez un diagnostic culturel avant toute transition
- Accompagnez tous les acteurs (cédant, repreneur, équipe dirigeante)
- Anticipez les résistances liées aux jeux psychologiques et aux loyautés familiales
Conclusion : ouvrir l’avenir de la transmission
En repartant de cet atelier, je confirme une évidence pour moi : la transmission d’une entreprise familiale n’est jamais un simple passage de relais technique ou juridique. C’est une transformation humaine et culturelle, traversée de paradoxes.
L’analyse transactionnelle offre des grilles de lecture particulièrement pertinentes pour comprendre et accompagner ces transitions.
En intégrant les dimensions de légitimité, d’identité et d’héritage, elle permet d’aborder la transmission comme un processus de transformation globale plutôt que comme un simple changement de propriétaire.
L’enjeu pour les années à venir sera de développer des approches d’accompagnement intégrées, alliant expertise technique et compréhension des dynamiques humaines. Car c’est bien sur cette dimension humaine que se joue la réussite des transmissions d’entreprises familiales, ces acteurs économiques majeurs de notre tissu entrepreneurial mondial.
Pour un dirigeant ou un DRH, la question centrale n’est donc pas “comment sécuriser la transmission”, mais bien : “comment accompagner cette métamorphose relationnelle et organisationnelle ?”
Je vous laisse avec deux questions de réflexion issues de l’atelier :
- Quelles permissions ai-je besoin de me donner (ou de donner à l’autre) pour que la transmission soit vivante et non figée dans l’héritage ?
- Quelle part de l’histoire familiale/entrepreneuriale suis-je prêt à honorer, et quelle part ai-je besoin de transformer pour créer ma propre empreinte ?
Et une conviction pour conclure : se faire accompagner dans ce processus – par un diagnostic de culture, un coaching systémique du cédant, du repreneur et des équipes – n’est pas un luxe, c’est une condition de réussite. Car au-delà des chiffres, une transmission réussie est avant tout une histoire de relations vivantes.
Ces questions résonnent avec votre situation ?
Contactez-nous pour un échange préliminaire sur votre projet de transmission. Nous proposons des accompagnements sur mesure alliant analyse transactionnelle et expertise en entreprise familiale.