Depuis un an, le travail à distance s’est amplifié en réponse au Covid pour permettre la poursuite de l’activité d’abord en mode dégradé pour pallier l’urgence puis de façon de plus en plus structurée pour répondre aux besoins des entreprises et des collaborateurs. Le travail à distance suscite même des envies de télétravail à l’issue de la crise pour 88% des personnes interrogées (ANACT juin 2020). Si cela se confirme, le leadership va être impacté ; et si la distance physique au travail s’accentue, les relations elles doivent se poursuivre et la présence se maintenir.
En 2009 déjà, je m’intéressais au lien social dans la formation à distance que je définissais ainsi : « une notion polysémique » issue de la sociologie, « formes d’interactions sociales pouvant intervenir entre des individus pour favoriser les échanges et instaurer un sentiment d’appartenance à un même groupe ».
En 2020, alors que j’animais une formation Process Communication à distance, j’ai été interpellée par la qualité des relations, par la présence presque palpable des participants, par l’intimité de travail qui s’est créée et j’ose le dire différente et plus intense qu’en présentiel. Depuis lors, cette thématique de la présence à distance m’interroge. Comment se crée la présence à distance ? Quels impacts a eu la distance sur ma posture de formatrice ? Comment la relation entre participants et entre les participants et moi-même s’est construite ?
Aussi, en avril 2021, j’ai questionné mes contacts Linkedin pour connaître leur ressenti sur le sujet en leur demandant « Comment a évolué votre lien social dans votre environnement professionnel depuis mars 2020 ? »
Les résultats sont difficiles à interpréter car si 4% ont répondu qu’il n’avait pas changé ; pour un tiers, il s’est dégradé, pour un tiers il s’est enrichi et, pour le tiers restant, la qualité du lien est variable selon les situations. Ces chiffres rejoignent pour partie ceux du journal Le Monde du 02/04/21 « 30% des gens ont vu leur lien dégradé à cause du COVID ».
Pour ma part, j’anime des formations, ou bien je coache, de plus en plus à distance et j’observe que cela fonctionne. Je suis même supervisée en collectif à distance. Alors pourquoi cela fonctionne pour certains quand cela ne fonctionne pas pour d’autres ?
Dans cet article, je vous propose d’articuler ma réponse sur deux constats et de les développer : d’abord celui de la présence et ensuite celui de l’ouverture vers un leadership d’accompagnement 5.0.
La présence
La présence peut s’entendre à plusieurs niveaux comme la présence physique, la présence à soi, la présence aux autres, la présence cognitive de tous et la présence sociale celle qui favorise sens et appartenance de part la qualité des interactions dans le groupe.
Ainsi, la présence s’établit à différents niveaux que l’on soit à distance ou en présence. La présence se ressent. Elle implique d’être à l’écoute de soi, des uns et des autres. Elle est favorisée dans un environnement où règne confiance, sécurité psychologique et bienveillance.
La présence se joue dans l’ici et maintenant, en termes physiques, énergétiques, émotionnels et intellectuels.
Le premier pas est de travailler la présence à soi à travers notre qualité d’écoute et notre attention qui nous permet de nous connecter les uns aux autres. Et en même temps, la présence est multifactorielle ; elle se construit et se met en place dans les interactions, les activités prévues et chacun des acteurs a un rôle. Aussi, en formation je présente très peu de supports pour laisser la place aux échanges, aux expérimentations, aux temps informels.
En coaching, j’offre à mon client un espace de connexion à lui même pour avancer vers son objectif.
Le regard, élément clé de la présence
A distance, la 2D remplace la 3D. Nous voyons seulement le visage et au mieux, le buste de notre interlocuteur. Le regard prend alors une place prépondérante dans la construction de la relation. Le contact visuel est tout aussi important lors d’une prestation virtuelle que lors d’une prestation en présentiel. En salle, je balaie du regard les participants en restant connectée de 3 à 6 secondes par personne alors qu’à distance, mon regard peut durer entre 6 et 20 secondes. En effet, en regardant la camera je m’adresse à tous les membres du groupe présents. Si nécessaire pour les jeux de rôles, j’invite les participants à « épingler » via l’outil Zoom l’image de son interlocuteur pour se voir comme en vrai !
Si regarder la caméra vous est inconfortable, je vous invite à regarder le tiers supérieur de l’écran et/ou de coller une photo ou un smiley placé sur la caméra (avec un trou au centre) pour diriger votre regard vers elle.
Alors pour capter et conserver l’attention, donnez votre regard ; il est important en présentiel et plus encore à distance. Ainsi, vous aurez de la présence partagée.
Avez-vous déjà expérimenté l’absence de la personne physiquement présente, proche de vous ? Nous pouvons en effet être en proche et distant à la fois. Et l’inverse est également vrai, nous pouvons être éloigné et en présence ; la distance géographique/physique n’exclue pas l’énergie et la présence.
Le lien à l’autre existe véritablement. J’ai pu le vivre en tant que coach, formatrice et même apprenante en suivant une formation via zoom animée depuis le Canada. J‘ai même dansé à distance de la biodanza. Un régal et un plaisir partagé. La distance n’exclut pas la présence. Et, à travers mes expériences, elle est venue la renforcer. J’ai pu partager des relations vraies et intimes. L’intimité (au sens de l’analyse transactionnelle) ne se programme pas. Elle arrive quand elle arrive.
Et vous, quelle expérience vous a marqués par la qualité de la relation qui s’est créée ? Quels sont les ingrédients dont vous pouvez vous servir pour réitérer l’expérience ?
L'ouverture vers un leadership d’accompagnement 5.0.
Par ouverture, je vous propose d’être dans l’accueil de ce que l’on ne sait pas. Notre monde est encore plus marqué par l’incertitude. Il me parait alors important d’accepter de se réinventer, d’innover, de ne rien prendre pour acquis, d’accepter de faire différemment car la situation est différente.
Créer. Expérimenter. Échouer. Apprendre. Expérimenter : cette boucle itérative est plus ou moins longue dans le temps pour conduire à un résultat satisfaisant.
Einstein ne disait-il pas « la définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose, et d’attendre des résultats différents » ?
Dans ce sens, faire preuve de créativité, c’est de développer une posture spécifique au contexte, de développer un e-leadership, un leadership d’accompagnement 5.0 surtout parce que le travail à distance va s’installer durablement et implique une posture spécifique.
Le numérique nous invite à réfléchir à notre rôle, à notre posture, à notre leadership pour vivre et faire vivre une expérience positive en ligne, pour maintenir l’engagement des apprenants (ou collaborateurs), pour repérer les difficultés de certains et de ne pas enchainer les heures derrière nos écrans.
Pour cela, il est préférable de multiplier les petits rendez-vous ciblés, de varier les supports de communication (téléphone, tchat, visio, mail….), de (re)créer des temps informels et leur organisation n’est pas seulement à l’initiative du formateur ou manager, d’opter pour une posture de formateur-coach ou de manager-coach, non dirigiste (exit le micro-management) et d’avoir une réelle écoute en laissant la place au silence pour identifier les signaux (parfois très) faibles.
Pour ce faire, savoir quel formateur/manager on est est important. Vous connaissez-vous en tant que formateur/manager ? Comment instaurez-vous la confiance au sein de vos collectifs ? Etes-vous l’expert ou le facilitateur du groupe ? Comment donnez-vous du sens à vos actions ? Quel cadre avez-vous mis en place pour réussir ensemble ces temps particuliers ? Comment accompagnez-vous les membres de vos collectifs vers l’autonomie sans les isoler pour autant ?
Pour ma part, étant coach professionnelle, une part du chemin est faite et cette situation m’a amenée à davantage animer en personne et avec moins de supports simplement les éléments clés. Les supports existent, nous les co-construisons et je les enrichis si nécessaire pour les remettre ensuite aux participants.
Pour créer le lien social, faciliter les échanges et les partages, le développement de la cohésion du groupe et pour capter l’intérêt des participants, je mets en place plusieurs items, variable selon les sujets et les groupes :
• j’exploite les outils de collaboration Zoom ou Teams (tableau blanc, partage d’écran, tchat, sondages interactifs, dépôt de documents, enregistrement vidéo, etc.);
• je crée des ateliers participatifs à l’aide de ces outils et d’autres comme les quizz, les nuages de mots, les post-it…, ce qui favorise une atmosphère ludique et participe à la création de sens et l’engagement ;
• je porte une attention encore plus grande à la création de connexions entre les participants et entre eux et moi et je soutiens ces interactions ;
• je leur accorde davantage d’espaces pour créer du lien et développer leur présence dans ces temps informels
• je propose dans la mesure du possible des séances de coaching en ligne plus courtes et des séances de formation en demie journée qui se suivent pour maintenir la présence des participants, leur concentration et limiter les fatigues visuelles et/ou corporelles. Les temps à distance sont repensés comme plus courts, plus rythmés avec phases de rupture et avec des activités ayant du sens. Le sens est au coeur de la présence.
Si le formateur/manager est invité à adapter une nouvelle posture, plus facilitatrice qu’experte, les membres du groupe doivent également faire évoluer leur positionnement vers une relation davantage partenariale tournée vers plus de co-construction, de co-créativité, d’interdépendance….
Et vous, comment allez-vous créer une expérience humaine et un climat de confiance et de collaboration à distance ? Comment allez-vous scénariser vos rencontres pour quelles soient vécues de façon positives et constructives ? Comment favorisez-vous l’interaction à distance ?
Dans toutes relations, nous sommes a minima deux et c’est à chacun de faire sa part du chemin pour aller à la rencontre de l’autre. Se faire confiance et avancer vers le même objectif : la pérennité de l’entreprise pour lescollaborateurs, la satisfaction des apprenants en situation de formation, les coachés accompagnés dans leur réalisation.
Ces expériences sont clés car elles nous permettent de développer nos compétences humaines et ainsi être pour passer d’un poste à l’autre demain car plus de 60% des emplois n’existent pas aujourd’hui. Les habilités d’écoute, de questionnement, de rétroaction sont essentielles pour aujourd’hui comme pour demain.
Conclusion
Si la présence est possible à distance, il est vrai qu’en cette période, des personnes manquent de liens et vivent la solitude relationnelle ou existentielle. La première est compensée comme nous le pouvons ; quant à la seconde, elle est à partager ou pas. Et en même temps, le sociologue Nathan Stern rappelle que les liens interpersonnels n’ont pas attendus la crise pour se dégrader ; ils baissent depuis un temps avant même l’apparition des réseaux.
Quoiqu’il en soit, tout cela ne remplace pas le contact physique. Femme de contacts, j’ai hâte de pouvoir à nouveau rencontrer, partager, renouer et profiter du temps présent sans écran. Et pour autant, je vais continuer de proposer mes activités également à distance pour toutes les richesses qu’elles m’amènent à vivre et à partager, les rencontres improbables que je réalise ….. différemment certes et combien nourrissantes.
Et vous, qu’allez-vous faire ? Qu’allez-vous oser conserver, supprimer, créer pour être pleinement vous même ?